Ma vie n'est qu'un luxe, calme et volupté ; j'ai un appart à six millions, une voiture de rêve (enfin la voiture de vos rêves) et plus de fringues que Madonna, j'ai des tableaux de maîtres, deux milles CD, et une Am Ex Platinum, je fais du sport au Ritz, je ne dîne jamais chez moi. J'ai dix huit ans.
J'habite dans deux cents mètres carrés avec parquets, moulures, cheminées et très belle HSP; aux murs, les tableaux de maîtres précités, plus un dessin de Warhol que j'ai acheté moi-même dans une vente aux enchères et des peintures géniales d'artistes maudits ; aux plafonds, des lustres en cristal.
Je roule en Porsche GT3 immatriculée 750NLY75, je fais faire mes chaussures sur mesure chez Berluti, je ne porte que des jeans de créateurs ou des costumes à vingt-cinq mille, hiver comme été, je ne sors pas de chez moi sans mes Ray-Ban des seventies, j'ai toujours les cheveux ébourriffés. Je suis un artiste, et mon oeuvre, c'est Moi.
Ma personne, mon appart, ma voiture, mon mode de vie, mon attitude, relèvent de l'exceptionnel, je ne fais rien comme les autres, ou alors je le fais mieux.
Je sors tout les soirs, c'est ma seule faiblesse. Je ne suis pas foutu de passer une soirée chez moi, ça fais quatre ans que ça dure. Comme tout le monde, j'ai fais mes débuts aux Planches dont je garde un souvenir attendri car c'est là que j'ai étrenné mes premiers costumes Dolce & Gabanna. J'avais 14 ans quand je découvris ce que je croyais être les fameuses nuits parisiennes ; Gilbert Montagné en boucle, tout Paris en chemise Ralph Lauren, le whisky et ses vertus dangereuses, le Club des Enfants Gâtés, bref turlututu chapeau pointu ! Je me prenais pour Tony Montana quand je collectais les fonds et que j'allais payer la bouteille, haut comme trois pommes, avec un des gros cigares de mon père à la bouche. Je péchoais d'adorables minettes de bonne famille effarouchées, des petites connes qui venaient me sucer dans les chiottes mixtes au bout de dix minutes de tchatche et qui pleuraient misère ensuite parce que je ne voulais plus d'elles et qu'elles étaient amoureuses de moi.
Mais j'ai grandi. J'ai atteint ma majorité. Ce n'était plus la peine de perdre mon temps dans une boite qui se vide mi-juin parce que les clients passent leur brevet.
A l'heure où vous vous levez pour aller bosser, nous nous couchons, ivres et béats d'avoir claqué en une nuit le montant de vos courses alimentaires de la semaine, voire votre loyer, voire votre salaire. Et le pire, c'est que c'est normal, et qu'on recommencera demain, et après-demain, et tous les jours jusqu'à ce qu'on s'en lasse. Ca vous exaspère ? Tant mieux, c'est fait pour.
Je suis un sale petit con, un sale petit con qui se la pète du haut de ses dix huit ans et de ses millions. Mon optique ? Emmerder le monde, vous compris.
Ma vie est une quête dont l'objet n'est plus, mes ancêtres étaient des héros, je ne suis qu'un fils à papa, Rebel without a cause, je crèverai d'un accident de Porsche ou d'une overdose, alors que je voudrais mourir au combat.
J'ai rendu folles toutes les filles de Paris, les trois quarts d'entre elles parce que je ne les ai même pas regardées, quant aux autres, celles qui ont attiré mon attention, parce qu'elles étaient belles, ou insolentes, ou soi-disant inaccessibles, ça a été pour leur malheur.
Les filles du XVIe portent des manteaux de fourrure et des montres Cartier, pleurent pour un oui ou pour un non, et simulent les orgasmes. Elles sortent à quatorze ans, tapent à quinze, sucent à seize. A dix-sept, elles se font dépuceler par un fils de quelqu'un et subissent leur première chirurgie (nez, liposucion, seins). Tout ce qu'elles aiment à part elles-mêmes et leur yorkshire, c'est le fric. Leurs yeux transparents perceraient des murailles et analysent vos chaussures, votre montre, débusquent les étiquettes de vos costumes en vous caressant le torse, reluquent discrètement la couleur de votre carte de crédit, et l'épaisseur de vos poches, le modèle de votre Porsche et la place de votre table en boîte, ce que vous laissez au voiturier, elles connaissent votre nom, savent ce que fait votre père, combien il gagne et combien il vous donne...
Je suis le challenge universel, le mec le plus beau et le plus frais de Paris, dont rêvent toutes les petites connes, que personne n'a eu et que personne n'aura jamais.
Je pourrais toutes les baiser. Ca ne m'amuse pas. Ce qui m'amuse, c'est de jouer avec leurs nerfs.
J'ai ai fait un art. Et le pire, c'est qu'après ça, elles en redemandent, elles me harcèlent au téléphone, quémandent un café, un verre parce qu'il faut qu'elles me parlent, me font des crises d'hystérie en public, racontent à tout le monde qu'elles sont amoureuses de moi et qu'elles ne comprennent pas pourquoi je fais tout ça. Le plus drôle, c'est qu'elles finissent toutes par s'imaginer que je ne les ai pas baisées parce que je les respecte trop.
Je faisais tout ça, jusqu'à ce que je la rencontre...